Gustaaf Colruyt


Gustaaf avec son pére Camille Colruyt
1951
Qu’est-ce qui pousse une personne à dédier toute sa vie à l’art et à vivre comme un ermite des temps modernes ? Un artiste le fait-il par foi ou par conviction ? Ou est-ce inscrit dans ses gènes ? Chez le sculpteur Gustaaf Colruyt (°Lembeek 1948), il y a un peu de tout cela à la fois. Artiste touche-à-tout et didacticien, « Oncle Jef » l’avait fait avant lui, tandis que son père Camille s’était illustré dans l’art religieux. Tous deux étaient toujours restés fidèles à la tradition et aux règles des respectables métiers d’art.

Ou Gustaaf s’est-il senti attiré par une mission artistique ? Nous nous demandons instinctivement à quel point un tel destin pèse sur l’artiste et quel prix il est prêt à payer pour cela.
 La réponse est peut-être qu’un artiste se bat librement pour vivre sans attaches, sans concessions. Enfant, il se mettait déjà en quête de l’essence de ce qu’il appelait inconsciemment « être vrai », un monde sincère où il aurait échappé à l’« environnement illusoire » dans lequel il grandissait. L’aurait-il trouvé dans l’étrange atelier du jardin où son père recherchait de manière incessante une « pureté artistique », épurant ses statues en un art faisant office de synthèse de la vie et de sa foi chrétienne ? Plus tard, après le décès de son père en 1973, Gustaaf aurait repris pendant quelque temps le fil de la quête paternelle. Quand les commandes se sont taries, il a pu se détacher de l’atelier.


1983
Il était de plus en plus convaincu que l’art véritable ne se limitait pas à une « histoire » : avec son art, il allait commencer l’œuvre de toute une vie, « pas virtuelle, mais reposant sur des faits ». Ce fut pour Gustaaf le début d’un long processus de prise de conscience. Maintenant qu’il y faisait face seul, il allait se libérer du carcan artistique dans lequel il était enfermé depuis sa formation supérieure. Il a quitté l’oppressant provincialisme d’une reposante vallée de la Senne pour Anvers. Là, il a pleinement profité de la diversité qu’offre cette grande ville. Il n’a cependant pas totalement coupé les ponts : tout comme son oncle, il mettait toujours ses compétences artistiques au service de la vie culturelle dans son village natal, Lembeek. Mais dans la métropole, il guettait désormais le monde, un peu comme au travers d’une fenêtre. Malgré sa grande réserve pour le monde extérieur, il a aussi été un enfant de son époque. Il s’est progressivement révolté contre les certitudes académiques et s’est depuis lors mû « en marge », loin des sentiers battus artistiques.


1983
Le processus de création des œuvres de Gustaaf Colruyt passe par différentes phases.
Tout commence par une phase nécessaire mais pas décisive où un hasard, une histoire ou un personnage en mouvement constitue le déclencheur pour une œuvre en devenir. Dans une seconde phase, la sculpture prend forme et les bases architectoniques sont construites afin que la sculpture « tienne ». À partir de là, il abandonne le sujet ou l’histoire embryonnaire afin que le concept initial ne soit plus évoqué. L’art du sculpteur consiste, à partir d’ici, à savoir s’y prendre avec les « aptitudes intuitives » : dans ce paradoxe, la contradiction peut être levée et laisser la place à deux principes complémentaires. De la même façon que l’homme peut se libérer de son égo dans sa quête de son moi véritable, le sculpteur laisse la statue « mourir » : « Comme dans la musique de Jaques Brel, l’histoire, la voix, les mimiques et l’engagement qui servaient d’échappatoires  pour déterminer la forme EXPLOSENT, de sorte que l’âme (tourmentée) remplit l’espace de la salle de concert ». 


Gustaaf avec Reine Fabiola
2008 - Orval
De cette façon, les sculptures de Gustaaf Colruyt remplissent et dominent l’espace. La lacune qui apparaît entre la sculpture et la salle délimitée est l’espace dans lequel le spectateur se meut et ressent la tension, l’énergie et l’ardeur de la sculpture. Au moment où le sculpteur se détache de l’embryon et que la statue est devenue « lui », la frontière entre le créateur et le spectateur disparaît.


Les sculptures de Gustaaf Colruyt sont un jeu de tout ou de rien, dans lequel le contact avec le « présent » ne se laisse envelopper par aucun concept. Un jeu avec un effort « juste » ou « injuste » .

Jean-Pierre Laus